Une histoire de famille
L’ascension de Roger Horcholle
Tout commença dans les années 1950, lorsque Roger Horcholle, enfant d’une famille nombreuse de 13 enfants, apprit le métier de tailleur de pierre en travaillant à la reconstruction de l’hôtel de ville de Beauvais. Il avait alors 14 ans et n’avait jamais vu une pierre de taille de sa vie. Détruit dans sa quasi-totalité par les bombardements en juin 1940, l’hôtel de ville fut reconstruit en pierre de l’Oise, en harmonie avec la façade préservée du XVIIIe siècle. Roger tombe amoureux de ce matériau pur et noble, et se renseigne sur son origine auprès des transporteurs. Ces derniers lui apprennent que la pierre est extraite dans une carrière se trouvant à Bonneuil-en-Valois, petit village du département de l’Oise. A la fin du chantier, Roger, alors âgé de 18 ans, décide de faire ses bagages et d’aller s’y installer : il parvient à louer une chambre au-dessus du café du village qui se trouve être au pied de la carrière.
Les années passent et Roger apprend les différents métiers qui peuvent s’exercer dans une carrière et un atelier de taille de pierres. De manœuvre à carrier en passant par le métier de débiteur, il termine son apprentissage par celui de contre-maître, qu’il exercera de nombreuses années. Roger fait la rencontre de sa future épouse dans le village, avec laquelle il fonde une famille de cinq enfants, à qui il transmet la passion du métier. Son fils aîné, Jean-François Horcholle, commence à faire ses armes dès 13 ans dans le secteur du bâtiment, sa première expérience consistant à redresser des clous sur un chantier. Il apprend ensuite le métier de maçon puis celui de tailleur de pierre.
En 1978, Roger abandonne la carrière et propose à Jean-François d’ouvrir leur entreprise ensemble, en tant qu’associés. Un terrain vague, quelques blocs de pierre et une tôle pour se mettre à l’abri : l’atelier de maçonnerie et taille de pierres est né, et deviendra la SARL Horcholle & Fils en 1980. En parallèle, ils acquièrent une petite parcelle en lisière de bois : à l’aide d’une vieille pelle Poclain achetée une bouchée de pain, ils réussissent à extraire des moellons, matériau permettant de bâtir les constructions traditionnelles de la région et servant donc à approvisionner une partie de leurs chantiers. Ce lieu deviendra par la suite la carrière de la Croix-Huyart. Il fallut au père et au fils plusieurs années pour se verser un salaire, mais grâce à leur persévérance la société devint rentable et s’agrandit, jusqu’à atteindre un effectif de 8 personnes en 1990.
Passionnés par la pierre de générations en générations
En 2010, Roger part à la retraite mais continue d’apporter son aide à l’entreprise dès qu’il le peut. Jean-François, père de trois garçons, décide de revendre l’atelier de maçonnerie et taille de pierres en 2011 pour se consacrer à l’extraction de pierres à la carrière de la Croix-Huyart. Son fils aîné Fabien, alors ingénieur en aéronautique, lui propose de reprendre la société : ayant travaillé plus jeune dans l’entreprise familiale pendant les vacances et rénové sa propre maison, cette reconversion professionnelle lui permet de revenir à ses premiers amours.
De son côté, Jean-François réalise un dossier d’ouverture de carrière afin de pouvoir extraire les blocs de pierre. Cette longue procédure se finalise en 2013, année de décès de son père Roger, qui ne verra donc jamais la carrière en activité. Un des premiers blocs extraits servira à la réalisation de sa pierre tombale. Au début, l’extraction est très physique : cela consiste à percer des trous dans les bancs de roche puis enfoncer des coins éclateurs à la masse afin de fendre le bloc. Jean-François fait ensuite l’acquisition des ateliers de Saint-Pierre-Aigle, entreprise permettant la transformation des blocs extraits de la carrière. Ces blocs transformés alimenteront les plus beaux chantiers parisiens, les pierres dure et demi-dure ayant des caractéristiques proches de celles des matériaux ayant servi à la construction de ces bâtiments.
En 2020, Jean-François transmet la carrière de la Croix-Huyart à son fils cadet, Benoît, avec qui ils moderniseront considérablement les techniques d’extraction. La même année, le benjamin de la fratrie, Gautier, est embauché par son père aux ateliers de Saint-Pierre-Aigle en tant que directeur technique. Il reprend à son tour la société en 2024, poursuivant l’activité de cette entreprise locale et familiale.
Notre-dame de Paris, le chantier d’une vie
Le 15 avril 2019, Notre-Dame brûle. Depuis plusieurs mois, une partie du monument est en phase de restauration, et des pierres dures de la Croix-Huyart transformées dans les ateliers Saint-Pierre-Aigle y sont acheminées. Le lendemain de l’incendie, il est d’ailleurs prévu que des pierres soient livrées sur place.
La France et le monde entier se mobilisent pour reconstruire ce monument emblématique de notre patrimoine. Des géologues et un expert de la pierre sont missionnés par l’établissement public pour recenser les carrières du bassin parisien et des alentours pouvant potentiellement fournir la pierre pour la reconstruction.
Des échantillons de l’ensemble des bancs de pierre de la Croix-Huyart sont envoyés pour une analyse de leurs caractéristiques techniques. Les principaux critères de sélection sont les suivants : un gisement de carrière suffisamment important pour répondre aux besoins d’un tel chantier, une pierre saine pour fournir des blocs de dimensions importantes, une résistance à l’écrasement, une faible gélivité et un aspect esthétique très proche des pierres ayant initialement servies à la construction du bâtiment.
Une fois les analyses terminées, l’établissement public ainsi que des architectes se rendent plusieurs fois à la carrière de la Croix-Huyart afin d’analyser les blocs. La carrière est finalement sélectionnée par le BRGM (Bureau de Recherches géologiques et minières) pour approvisionner le chantier de restauration de Notre-Dame en pierres dures. 700 m3 de blocs sont extraits en 1 an et demi : ces derniers servent à la reconstruction des voûtes effondrées et des murs-bahuts de la cathédrale. C’est la consécration d’un travail de plusieurs générations pour la famille Horcholle.